Archive du mois : juillet 2015

30 – Nancy Spero – Biennale Venise 15

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Le Codex Artaud -71-72

Le Codex Artaud réalisé en 71-72 est un ensemble très important de 39 rouleaux de papiers fragiles, froissés, de couleur écrue, présentés ici déroulés et dans de longs et étroits cadres à la mesure de chacun.
Dès l’entrée l’installation et son contenu nous renvoient aux tombeaux égyptiens et aux livres des morts.
La disposition aléatoire des cadres les uns par rapport aux autres, leurs dimensions variables, les uns horizontaux, d’autres verticaux, les sens différents de lecture : lignes de textes dans diverses directions, se chevauchant, coupées ,   lettres plus ou moins grosses,   formes humaines étirées , déformées,   dessin rapide et grossier, alternance couleurs- noir/blanc…,  tout concourt à perturber et par là même à renforcer le tumulte interieur de l’écrivain.

 

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 L’immense salle, carrée et presque vide, mais occupée sur ses quatre murs, oblige à des déplacements et nous met  dans la peau d’un archéologue qui ne découvrirait que quelques fragments et ne déchiffrerait que des bribes. Elle nous oblige à  « tourner en rond » dans ce grand vide, et à éprouver la sensation particulière d’enfermement et d’égarement qui était celle d’Artaud.

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Nancy Spero, née en 1926 et décédée en 2010,  a laissé  une oeuvre austère, complexe, dérangeante.  Elle a toujours exploré de nouveaux procédés graphiques, privilégiant les collages, déchirures, froissages, matériaux pauvres et bruts , leur violence immédiate traduisant son total engagement politique et ses luttes contre l’ordre social et les violences de tous ordres.
Le Codex Artaud fait partie de l’exposition  » Slip of the tongue » à la Dogana di mare. Venise 2015

29 – Cy Twombly – Biennale Venise 15

Venise 2015. Une grande rétrospective de l’oeuvre de Cy Twombly « Paradise »  est présentée à la Ca Pesaro jusqu’au 13 septembre.

Chez Twombly j’aimais à peu près tout, les gribouillages, les graffitis, les mots griffonnés, les peintures brouillonnes et effacées ou maculées, les coulures, les noms qui renvoyaient aux héros grecs et dieux de l’Olympe, les sculptures faussement « bricolées », les formats immenses… et il y a tout cela à la Ca Pesaro… mais il y a aussi une série d’un genre que je ne connaissais pas, plus intimiste peut-être, moins « à la Twombly », une série qui semblait juste témoigner d’un pur bonheur d’exister, c’est du moins ce que j’y ai vu, et c’est cette série que j’ai choisi de montrer.

 

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Gaeta set VIII – 1986 –  Acrylique sur papier

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Il y a aussi, dans le cadre de la Biennale,  le travail de Federica Marangoni, « inratable » de nuit puisqu’il illumine le Grand Canal d’une immense bobine de néon rouge sang , et qui se poursuit à l’intérieur, en forme de supplique : l’arrêt de toutes les violences infligées . C’est le thème récurrent de la biennale mais cette artiste le présente avec des procédés plastiques intéressants.

28 – Rosana Palazyan – Biennale Venise 15

Le « pavillon » de la diaspora arménienne : « Armenity », représenté par 18 artistes, a été très logiquement accueilli sur l’Ile San Lazzaro degli Armeni.  Il a reçu la récompense suprême : le Lion d’or.

Le travail le plus remarquable et le plus émouvant, mais aussi le plus modeste, est celui de Rosana Palazyan. Sa première création est une vidéo intitulée « Una história que nunca mais esqueci ». L’artiste, en partant de l’histoire d’une seule famille – la sienne – et peu importe qu’elle soit réelle ou approchée – nous plonge sans mièvrerie ni mélo dans le drame global d’un peuple qui a dû fuir. Non seulement elle ne dévie jamais de la sphère intime, mais elle choisit des outils et matériaux dérisoires et magnifiquement adaptés : ceux de l’errance et de la précarité, ceux que l’on pourrait emporter avec soi.
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Una historia que nunca mais esqueci… ( A story I never forgot )

Les images défilent dans le rond d’une petite lumière vacillante  sur un large espace d’ombre : le fond d’une tasse à café où des grains de marc se seraient rassemblés pour dessiner toute une file en marche, endiguée par des policiers armés, des tâches de café sur un morceau de tissu, des corps emmêlés ou un homme pendu sculptés dans un fond de pâte à tarte ou dans de la mie de pain, un bateau en papier qui bouge sur quelques traits de crayon bleu, et surtout, sur des petits mouchoirs brodés, les menus événements de l’installation dans le pays d’accueil – le Brésil – où la grand-mère de l’artiste enseignait la couture : scènes de  mariages, naissances, vieillesse…

Porque Daninhas ? ( Why Weeds ? )

La deuxième oeuvre de Palazyan est aussi émouvante et occupe le pourtour du jardin du cloître: des planches d’un grand herbier qui présenterait toutes les mauvaises herbes du jardin, celles dont on doit se débarrasser. La plante est une réelle plante séchée mais ses racines sont en cheveux- ceux de l’artiste, qui a une longue chevelure noire -. Brodés sous la plante,  ils la nomment et donnent ses caractéristiques de nuisible.

27 – Magdalena Abakanowicz – Biennale Venise 15


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 « Crowd and individual »

Saisissement en entrant dans l’espace très sombre où Magdalena Abakanovicz a  installé ses sculptures de toile de jute raidies par des boues rouges. Une foule en marche, venue du fond des âges, sorte d’archétype de ces humains que nous croisons au long de notre existence. Adultes ou enfants, décidés, projetés en avant ou  arrêtés dans leur course. Des coques vides, des demi-coques même,  parfois tournées vers nous : ceux que nous croisons , parfois  inversées : ceux que nous suivons, doublerons,  sans nous retourner pour voir leur visages; des coques entières aussi , tantôt sans tête- ceux avec qui nous avons échangé trop peu pour garder le souvenir d’un visage, d’un mot,  d’autres enfin avec leur tête et même,  parfois, des expressions, et on tente de découvrir une personnalité, une intention de l’artiste, une attention particulière portée à chacun.
Et cette foule, on ne le voit qu’après coup, avance vers une seule forme, opposée, placée près de l’entrée, mais positionnée comme nous l’étions, lorsque nous sommes entrés, et qui pourrait être chacun de nous… forme ramassée sur elle-même, ne ressemblant à rien de connu, mi-animale, mi-humaine, ni vraiment effrayante ni pour autant rassurante… juste inconnue et à déchiffrer.

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Magdalena Abakanovicz , née en 1930 près de Varsovie, est une artiste polonaise . Elle expose les 101 figures de « Crowd and Individual » salle Carnelutti. Fondation Giorgio Cini. Ile de San Giorgio Maggiore. Biennale de Venise 2015.

L’île de San Giorgio regorge de belles trouvailles : deux oeuvres de Jaume Plensa, une monumentale et légère dans l’église, une autre  dans un espace très proche de « Crowd and Individual », présentée comme un pendant inversé:  une étonnante file de têtes de fillettes en marbre blanc.
Plus à l’Est de l’ïle une exposition d’objets finlandais en verre, et, dans un espace en plein air de type jardin japonais, le « salon de thé Mondrian » d’ Hiroschi Sugimoto.

 

26 – Herman de Vries – Biennale Venise 15

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All ways to be to be ways

Dès l’entrée dans le pavillon hollandais,  on est happé par les majestueuses graminées présentées dans des boites-cadres face à nous et par l’odeur entêtante du cercle impressionnant posé au sol et constitué d’une multitude de boutons de roses séchées.
Plus loin des troncs noirs de bois calciné, des fragments de minéraux présentés comme de fragiles sculptures au sommet de longs socles de bois les rapprochant de notre regard, un immense nuancier de poudres d’ocres…

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Herman de Vries conjugue constamment l’effacement de soi, dans le seul souci de présenter la Nature dans sa  pureté originelle, et le grandiose  dans les moyens qu’il met en oeuvre pour y parvenir. A l’opposé des Land’artistes, il ne cherche pas à intervenir sur le milieu naturel ni à y laisser sa trace. Il se contente d’une collecte besogneuse et exhaustive de tous types d’éléments qui composent et spécifient un lieu . Une sorte de biotope. Et ce cabinet géant de  naturaliste crée un espace de lumière, de paix et de beauté.
Peut-être aussi de recueillement.

Dans un deuxième temps  on s’approche d’un mur plus complexe et moins évident. Il est entièrement recouvert  d’une multitude de cadres identiques présentant une quantité impressionnante de très petits éléments regroupés par thème, couleurs, formes ou tous types de qualités autorisant le  rapprochement. On comprend alors seulement   qu’il s’agit de la lagune de Venise et de collectes dans ses diverses îles.

…  feuilles, algues, écorces, bois flottés, graines,  épines, racines, galets, cailloux, sable, os, coquiles et coquillages, plumes, … mais aussi, car il n’est pas naïf, fragments de poteries, bouts de verres regroupés par couleurs ou en mélanges subtils, cordages salis par le goudron, éléments métalliques agressifs, pointes et clous, bouts de filets de pêche, vieux plastiques déchirés…
Bien sûr  on peut y lire la grande industrie des verriers de Murano, l’intense trafic maritime… mais tout est présenté déchiqueté, digéré par une Nature finalement toute puissante qui avale, transforme et dégorge en petits tronçons magnifiques et précieux.
Tout cet archivage est organisé avec  soin, poésie et respect. A chaque planche on sent l’attention portée aux regroupements et organisations mais bien plus le plaisir enfantin de l’appropriation de petits trésors et le goût de la relique.
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La place de l’homme dans ce grand tout est cependant pointée telle que la conçoit de Vries : une photo de lui, nu, accroupi au bord d’un torrent de montagne et un rectangle au sol où est présentée une collection de l’outil d’avant l’industrialisation: la faucille.

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Herman de Vries expose  également au L.A.C  ( Lieu d’Art Contemporain ) de Sigean un ensemble d’oeuvres qu’il nomme ‘L’Art Zéro ».
L’exposition est visible jusqu’au 13 septembre, tous les après-midi – sauf  le mardi – de 15 H à 18 h – et sur RV au 04 68 48 83 62.
L.A.C. Hameau du Lac – 1 Rue de la Berre – 11130 – SIGEAN