Auteur : Danielle Chevalier

57a – VENISE. Biennale 22.

 Concernant les œuvres rassemblées au Pavillon central des Giardini et à  l’Arsenal, sous le titre  » LE LAIT DES RÊVES  » – emprunté au livre de Léonora Carrington -, on doit s’attendre au retour d’un surréalisme fait de transformations des corps, de métamorphoses  et d’une vision de l’humain d’où toute rationalité a disparu, ce qui autorise un champ d’action trop vaste pour être détaillé ici.
De plus, beaucoup des artistes présentés sont peu  connus sur  la scène internationale, ne sont pas ou plus sur le devant de la scène artistique, parfois connus pour leur activité dans un autre domaine, souvent âgés, voire décédés. (c’est le cas de Violetta Para chanteuse chilienne (« Gracias a la vida » née en 1917et  décédée en 1967)
Je me cantonnerai donc ici aussi,   à un choix de techniques, multiples, traditionnelles, proches parfois du dessin d’enfant : crayons de couleur, collages, broderies..  Une part importante privilégie l’artiste femme… et, le plus souvent,  les faits présentés mêlent le politique au merveilleux.
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BIDIMENSIONNEL 

                Cecilia Vicuña . Chili :1.2  Violetta Para .Chili. 3-4
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                     Birgit Jurgendsen.Autriche

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En haut :  Sheree Hovsepian. Iran .  En bas : Bridget Tichenor. Angleterre

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LES OEUVRE VOLUMIQUES s’insèrent davantage dans la production actuelle de type surréaliste.1 – Mrinalini Mukherjee. Inde. Fibres de chanvre ou de jute, sculptures biomorphiques
2 Andra Ursuta. Roumanie.  Êtres hybrides moulages de corps humain puis coulage de verre
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ENVIRONNEMENTS

 G :  Ovartaci  (Danois refusant son « statut genré », prend ce pseudonyme signifiant : « chef des déments ». Il a passé plus d’un demi-siècle en hôpital psychiatrique et y a produit un millier d’œuvres, ancrées dans sa recherche de liberté et d’identité sexuelle.
D :  Jana Euler Allemagne. Environnement expressionniste mêlant petits requins affolés (sculptures   en résine) et animaux ailés violemment expressionnistes (toiles traditionnelles).
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ENVIRONNEMENT
Prabhakar Pachpute
. Inde . Oeuvre multiple de plus de 10 mètres de long mêlant longue fresque et sculpture, le tout évoquant l’histoire de la mine.

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      L’ œuvre la plus bouleversante de la Biennale, reléguée dans un recoin d’entrepôt  au fin fond de l’Arsenal sud, dans une zone plutôt délaissée, peu visitée… et c’est fort dommage… est une vidéo de 20 minutes intitulée:
La chambre des parents. Auteur Diego Marcon. Italie


… une chambre à coucher dans la pénombre… Assis sur le bord d’un lit,  un homme chante des mots lugubres qui parlent de mort . Dans le lit, une femme. tête émergeant des draps.  Étendu sous le lit , un jeune enfant.  Debout et regardant par la fenêtre  à peine entr’ouverte, une fillette.
Il neige. Des flocons tombent doucement et un petit merle se pose de temps en temps, frétillant de vie, lançant son chant joyeux, entraînant, impérieux parfois, incitant à sortir… à vivre.
Mais les humains, grimés, effrayants et morbides, vont chanter tour à tour et lui répondre.
Trois ont déjà quitté le monde , tués par le père, qui chante ses meurtres et son suicide proche .

57b – VENISE. Biennale 2022.

Matériaux,  Techniques, Procédés d’utilisation

Je voudrais aborder pour cette biennale 22, la diversité et l’importance  de « matériaux » inhabituels choisis par certains artistes. Ou de mediums connus mais exploités  de façon particulièrement remarquable. Souvent étranges,  parfois symboliques, ils amènent à des procédures d’utilisation intéressantes à analyser parce que chaque fois au service du sens, bien sûr, mais surtout de la force plastique… donc émotionnelle de  l’œuvre.
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                                                              ANTONI CLAVÉ. Palais Franchetti.

Antoni Clavé, espagnol catalan, d’abord  peintre en bâtiment, puis affichiste, a  quitté son pays a la Retirada avec les troupes républicaines. C’est en France qu’il créera la plus grande partie de son œuvre. A Paris d’abord où il rencontrera entre autre Picasso , puis dans le midi.
Virtuose des techniques de mixages ( affiches, papier peints, cartons, stencils, procédés variés de collages, photographies et photomontages…),  il fascine le spectateur et le retient par un questionnement obsédant qui ne trouve pas de réponse :  » mais comment a-t-il fait ?  »  Car la violence des déchirures,  la variété des colorations, des recouvrements, est constamment contrée par la délicatesse et la fragilité des assemblages. Et cette impossibilité  à opter s’amplifie à mesure que l’on avance dans la lecture des procédures  avant de  reprendre le recul nécessaire.
Cette façon de retenir le spectateur est un autre atout, même si rarement  exploité par les artistes du fait de sa difficulté de mise en œuvre.

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      AI WEI WEI . San Giorgio Maggiore

Ai Wei Wei .Chinois.  Célèbre pour son  travail très iconoclaste, à la fois malicieux, destructeur et profond, longtemps   consacré à la culture classique chinoise , il « joue »  cette année, à Venise, avec les tableaux les plus emblématiques de notre patrimoine pictural occidental. Ici le procédé fonctionne très bien  car la mise en scène « à distance » est parfaitement réglée – comme il le fait toujours – et crée l’étonnement  sur le pourquoi et le comment de telles œuvres ici… avant que le rapprochement et l’entrée dans le jeu ( car c’est bien d’un jeu qu’il s’agit)  n’amènent les sourires attendus. Des Légos…  Voilà quel était le matériau !!!

De même avec son détournement du tableau de Mondrian et  son « encadrement » genre tissu d’ameublement…
Ces deux propositions sont des moments de détente   dans un ensemble plus ambitieux et moins futile présenté dans la nef de l’église de San Giorgio Maggiore.
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CHUN KWANG YOUNG

Chun  Kwang Young . Coréen. Dans ses « Agrégations » , Chun Kwang Young, propose d’étonnantes et élégantes sculptures de plus de 3 mètres et d’importants bas-reliefs délicats.
Leur particularité est d’être tous construits par agglomération d’un même module très petit.
Chacun, provenant de plaques de polystyrène découpées en forme de triangle (de 8/3/2cm environ) , est emballé dans un morceau de page de vieux livre, le tout maintenu par un petit cordon de coton. Plastiquement,  l’œuvre est étonnante et charme.
Le message, lui,  est ambitieux . Fonctionne-t-il ? … ( Chaque triangle enfermerait un composant sémantique indépendant, une unité d’information. « L’imbrication de ces structures dégageant  une systémique forte dont les frontières physiques traduisent une confrontation insolvable entre espoirs et réalité, consommation de masse et pauvreté, rêve américain et valeurs traditionnelles asiatiques… » )

 Finalement c’est bien plus  l’étonnement face à la main d’ œuvre nécessaire à la production des modules que le message transporté par le module qui interpelle le spectateur ._______________________________________________________________________________________

  ILIT AZOULAY. Pavillon d’Israël.Giardini

Ilit Azoulay  née  en Israël,  vit à Berlin. Expose « Queendom »,- mon royaume féminin-. aux Giardini- pavillon d’Israël .Sa démarche : Le musée d’art islamique de Jérusalem présente des milliers de pièces de vaisselle en métal incrusté et repoussé , photographiées par l’historien d’art Storm Rice*.
Ilit Azoulay  s’est réapproprié le travail de recherche de l’historien. Elle  a scanné, agrandi, découpé, superposé  et transformé les photos  en réalisant par photomontage de nouveaux objets de provenances différentes et en créant ainsi des liens nouveaux entre eux et une nouvelle vie.
Chaque création attire le spectateur,  par ses couleurs vives, ses propositions intrigantes et surrréalistes, et charme dans le même temps par l’éclairage interne, la richesse, et l’apparente préciosité des objets.
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 MARLÈNE DUMAS. Palazzo Grassi.

Marlène Dumas néerlandaise, née au Cap.  De prime abord son œuvre  peut paraitre « pauvre » et déconcertante, mais elle se charge peu à peu, si l’on veut bien l’apprivoiser.
Les sujets étant exclusivement des corps humains souvent nus ou des parties de corps, peints à l’huile sur toile ou à l’encre sur papier, c’est  bien des seuls procédés d’utilisation de ces deux médiums que va naître la force de son travail. Il est troublant, captivant , gênant .. Pour cela, des flous, des coulures, des taches , des couleurs souvent froides et de mort sur fonds incertains, troublés, sans décors ni objets auxquels se raccrocher.
On est immédiatement plongé dans un monde excessivement dérangeant où tout ce qui est d’habitude caché ou intériorisé est mis à jour: les regards méchants, les grimaces douloureuses, perverses, les poses équivoques, toujours sexualisées, érotiques  ou morbides ;   sorte de travail chirurgical  sur patients à qui on aurait retiré la peau…. Mais dans le même temps , rien n’est assez affirmé pour amener le spectateur à  conclure malgré l’implication fortement provoquée.
Et c’est là qu’est la force de ce travail.
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 ANSELM KIEFER. Palais des Doges

                Anselm Kiefer;  Allemand vivant en France s’est fait connaitre pour sa représentation expressionniste de champs, de plaines s’étendant à perte de vue, vides de toute humanité mais chargées de traces  faisant naître immédiatement une évidence et une gêne: ici s’est déroulé « quelque chose de terrible », des affrontements , des batailles , de la violence , des guerres…
Pour peu que l’on connaisse son travail, en avançant vers le palais des Doges,  on sait que l’on va avoir affaire à du monumental.  De cet ordre ??? ? sans doute pas encore…
Par ailleurs dans le cas de Kiefer, il est préférable de n’avoir rien lu à l’avance et de se laisser entraîner par lui dans la lecture.

En entrant dans la salle,  toute notre personne est physiquement saisie par le hors norme, l’inhabituel… et cependant on n’est ni englouti , ni écrasé … plutôt enveloppé et en paix. Très vite on n’est plus dans une pièce fermée, aussi vaste soit-elle, mais en pleine nature;  et plus la lecture avance , plus l’espace s’élargit.
Cela est dû à ses fantastiques effets de perspectives  et aux matériaux qu’il utilise, pour la plupart végétaux ; de l’herbe, du bois, des branchages, de la terre, de la boue, de la suie.
– La personne au pied de l’une des œuvres (photo1) permet d’évaluer  le rapport physique. (l’échelle à laquelle  » il nous « installe »)
– il nous montre aussi comment il « élargit l’espace »  par ses brillantes perspectives fuyant jusqu’à l’horizon. En utilisant par ailleurs  des objets réels symboliques surajoutés – des roues, des charriots, des vélos et tricycles chargés de marchandises, des vêtements-, il nous informe sur son sujet. Ici la fuite d’un  groupe ethnique à un moment de l’histoire de la ville.

2
Dans l’image 2,  il rend encore plus  palpable les notions d’élan, de marche supposée, d’ éloignement progressif et de  parcours long et semé d’embûches par les changements de direction et le rétrécissement de la magnifique « montée » blanche, ses ombres/lumières, ses tâches noires incertaines  et l’utilisation d’éléments  naturels de plus en plus petits .

La photo 3 permet d’évaluer les dimensions et la nature des matériaux de prédilection de Kiefer. ________________________________________________________________________________________

56a – Les Éditions Réciproques au 401

Le 11 novembre 2021, au 401,  les Éditions Réciproques  présentaient  à un public nombreux une de leurs dernières parutions:   le Silence des Pierres de Danielle Chevalier… suite de sa récente création plastique « Les Pierres de Thurso » et en regard de celles-ci.
Cf site: https://danielle-chevalier.fr/les-pierres-de-thurso/

L’équipe de direction des Éditions Réciproques
Geneviève André Acquier, Brigitte Acquier, Alixe André Acquer et Charlie

« Un “ Réciproque ”, c’est un petit ouvrage qui fait dialoguer les mots et les images, qui se lit, se regarde et se touche, qui a la forme et la couleur de son contenu. Un livre-objet réalisé dans la complicité des ateliers.
Danielle Chevalier a collecté 23 galets sur les plages de l’Écosse continentale et de ses différents archipels, et dans ce livre, « Le silence des pierres », elle nous propose de les faire parler, en mots d’abord, puis en images une fois que l’on soulève la page. L’ouvrage restitue le défi, ou le jeu, que l’artiste s’est lancé : retrouver dans les formes , reliefs et couleurs de chaque pierre , une scène possible de l’Histoire de la Représentation en Occident, avec tous ses grands thèmes comme la Vie Quotidienne, l’Histoire, les Mythes, les Religions…
                                                                                        Geneviève André Acquier

…et les pierres ont parlé …
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Ce livre d’art précieux – tiré  à 200 exemplaires numérotés et signés par l’auteur , accompagné d’une traduction anglaise de Mary Chalot, a été imprimé sur les presses d’Escourbiac(81) Graulhet en octobre 2020.
Un exemplaire se trouve à la Réserve Précieuse de Lausanne en compagnie d’une précédente édition du même auteur « Grand Amour », également réalisé par les Editions Réciproques)

Editions Réciproques
60 fg du Moustier 82000 Montauban Tel : 05 63 20 35 22 Courrielreciproques.editions@orange.fr

www.editionsreciproques.org

 

56b . « Le silence des Pierres » lu par André Mimiague

Eshaness ; Iles Shetlands : lieu qui a inspiré « L’Enfer » du Silence des Pierres 

Chère Danielle

Magnifique !

Quelle belle édition !

Soignée, ingénieuse, originale…

… et moi qui adore les cartes…

Justement ton ouvrage m’arrive alors que dans mes lectures récentes il y a des îles, des rivages, des plages, des phares, des embruns

et … des rêves écossais… oui – oui… des livres ivres d’air marin et …

ainsi commence l’un d’eux:

« Je traversais les îles Shetlands en auto-stop. Une Land Rover

s’est arrêtée . Le conducteur avait une quarantaine d’années, il portait une

combinaison bleu pétrole, sa barbe était tachetée de blanc. « Ou allez-vous ? »

m’ a t-il demandé d’une voix pleine de rouille et d’embruns… »

Cet ouvrage a pour titre « RÉVER DES ÎLES . Le voyage comme respiration

philosophique »  L’auteur Gavin Francis , écrivain-médecin-voyageur-écossais donnait des consultations sur quelques îles des Hébrides…

Les Hébrides… je venais d’y séjourner dans un bouquin de Peter May auteur de romans policiers (la série « chinoise » et sa « trilogie écossaise » !!…),

il  s’agit du polar « Les Disparus du Phare »! d’ailleurs dans ma série de lectures îlosophiques l’ultime est le journal d’un gardien de phare…
C’est donc dans cette ambiance iodée que m’est parvenu ton bel album… hé oui ! Il vient magnifiquement s’inscrire dans l’archipel de mes oniriques vagabondages de lectures maritimes étranges…

Et c’est à la loupe (comme Tintin sur une piste) que j’ai observé ces cocasses inventions graphiques… ces galéjades de galets galopins … ces visions gambillantes nées des ressacs…

Cela m’a remis en mémoire les roches de Rothéneuf : ce récit de récifs né sous le ciseau sculpteur rêveur de l’incroyable abbé défroqué « Fouré… l’énigmatique ermite de la Côte d’ Émeraude…

bon, voila que mon esprit vagabonde à nouveau du côté de Cancale, St Malo, Paramé et Dinard aux baigneuses de Picasso!;…

 

Merci, grand merci, Danielle pour ce grand livre aux galets chuchoteurs… comme coquillages de nos enfances…

André Mimiague

Iles Shetlands : Plage des Phoques de Sand

André Mimiague, peintre surréaliste de renom, est un des membres  fondateurs, dans les années 60, du mouvement bordelais : « Parapluycha » dont il présentera l’historique dans le livre : « Mémoires d’un Parapluycha » en 2018
Inventeur de l’étonnante et passionnante écriture « la Graphicha »,  il la révèle  au public  dans un magnifique opus en  2019.( imprimé par Pleine Page à Bordeaux).
-> Voir les articles  18-19-20 de ce blog

 

55 a – Luz Serrano Val au 401 – « C’est encore loin » ?

 L’artiste Luz Serrano au 401 . du 28 septembre au 20 Octobre 2019.

 
Luz Serrano est une enfant de la « Retirada ». Son père a écrit un très beau livre (Memorias de un hombre cualquiero) sur son parcours de jeune berger, qui, peu à peu , grâce à ses lectures,  son ouverture sur le monde, ses convictions humanistes, va devenir un républicain actif . Comme beaucoup, il fuira la folie franquiste, et s’exilera en France avec sa femme et leur fille de 
 2 ans : Luz .

Même s’il est évident que la production picturale de l’artiste  est imprégnée de ce parcours très singulier il serait dangereux de la lire à l’aune de ce seul paramètre.

 La peinture de Luz Serrano,  dès l’abord, happe le spectateur par   l’apparente liberté de ton, la technique magnifiquement maitrisée et le parti-pris figuratif… Mais elle trouble dans le même temps  parce qu’elle résiste à toute réelle interprétation.
Et si les éléments proposés 
changent peu, (des formes humaines adultes, une forme enfantine , des valises, la nuit, le départ, la marche), les procédés picturaux changent par contre sans cesse : les formats ( du 1F au 120 F),  le travail de la pâte: lisse, granuleuse, écrasée, fondue,  les rapports ombres-lumières très variés, les positions et emplacements des personnages, parfois en bord de cadre, tantôt tournés vers l’intérieur,  tantôt prêts à quitter l’espace, les nombreux brouillages et effacements …  et l’on se dit :  « mais que cherche-t-elle donc   ? « 

C’est sans doute dans le livre du père que l’on trouvera la réponse. En lisant les pages sur l’exil,   on comprend  un peu mieux ce qu’a vécu l’enfant dans les mots de son père. Luz avait un peu plus de 2 ans quand le terrible voyage a commencé :   séparation d’avec ses grands- parents,  divers logements d’attente en Catalogne,  grand départ enfin, en voiture d’abord, à pied ensuite, pour  transiter par divers camps de réfugiés, séparation d’avec le père, beaucoup de drames à surmonter. Pourtant dans la peinture de Luz Serrano, seuls survivent le départ et la longue traversée des Pyrénées à pied. Or pendant cette  semaine de marche, elle a vu des voitures et des chars que l’on précipitait dans les ravins, des soldats blessés qui tombaient et mouraient, des hommes affamés qui tuaient du bétail dans les prés , les dépeçaient, pour les cuire et les manger avec le groupe…, , un paysan apitoyé par la  très petite fille, lui offrant lait et nourriture , un autre  la portant dans ses bras pour alléger la mère: instants excitants ou moments traumatiques.

.. et elle ne peint rien de tout cela.

On parle du mystère de l’amnésie infantile. Du fait qu’à 2 ans l’accès au langage est insuffisant pour donner seul un sens aux événements, pour charger les images. D’ailleurs  comment des parents même aussi attentifs et aimants que l’ont été les siens, auraient-ils pu mettre pour elle des mots sur cette folie qui déchirait l’Espagne et résistait à toute logique… … C’est pourquoi, à mes yeux, ce que peint inlassablement Luz Serrano, ce ne sont même pas10 jours d’une vie, ce sont des ébranlements physiques, trop énormes pour sa constitution d’alors, des images illisibles, sans contours ni netteté, des faits incompréhensibles, des flashes intérieurs qui remontent et qu’elle tente d’organiser.
En fait,  elle peint inlassablement les effets bruts inclassables, et surement pour cela incontournables, d’à peine 10 jours de la vie d’une enfant de 2 ans.

Aussi, réduire les tableaux de LS à une chronique de la Retirada, même vue par des yeux d’enfant, c’est passer à côté de l’essentiel. Car, si, comme dit plus haut, cette peinture nous « happe » et nous trouble,   c’est parce  qu’elle a le pouvoir de nous entrainer  à notre tour dans cet en-deçà des mots, dans un total espace  de mystère.


Au 401 Septembre 2019